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Brain crash ! Le psy cause toujours ...

Le petit diable dans la boîte noire …

Au terme de mes études, je me suis intéressé à l’informatique, c’était la période du plein boum des micro ordinateurs, du personal computer. Tel Homo sapiens quittant l’Afrique natale, l’informatique quittait la salle de calcul pour pénétrer dans les bureaux, bientôt dans les foyers, pour aboutir dans notre poche. J’ai ainsi appris quelques langages de programmation et j’ai également programmé. Puis d’autres appels du destin m’ont conduit ça et là, jamais loin des claviers, mais, hélas, hors des langages de programmation récents.

Néanmoins, de cette rencontre, il m’est resté une expérience où je ne peux m’empêcher de tirer des liens entre le fonctionnement de nos cerveaux et celui d’un ordinateur.

CG Jung voyait des rapports “numineux” entre la psyché et l’alchimie et, pour ma part, j’en vois des numériques entre notre pensée, notre raisonnement  et l’informatique : l’un se projette dans l’autre. L’informatique est le miroir de notre psyché. Cela me mènerait trop loin de tout développer ici mais je vais m’intéresser à un point : la difficulté qu’il y a d’être nuancé lorsqu’on travaille avec un système binaire. Watzlawick et Bateson (école de Palo Alto) parlent d’un langage numérique qu’ils opposent au langage analogique et ils comparent l’un à l’autre. Pour faire simple : le vinyle est analogique, le cd ou le fichier Flac sont numériques, ils contiennent des 1 et des 0. L’un et l’autre tentent de décrire et retracer la réalité du son. En cas de bug analogique, les conséquences ne sont pas les mêmes que pour un bug numérique. Voyez ou plutôt écoutez  la différence entre une griffe sur un 33 tours ou un CD !

Et bien, en langage numérique, il y a un problème de nuances, comme le fait dire la tradition à Nietzsche, dans son Zarathoustra : “Le diable se cache dans les détails”. Columbo dirait plus simplement : “Il y a un petit détail qui me chiffonne”, celui qui fait de l’innocent, un criminel… Cette petite nuance qui fait tout basculer ! 

Nous voulons l’absolu mais nous sommes finis face à l’infini, imparfaits face à l’archétype de la perfection qui nous hante. Nous sommes humains et être humain, ce n’est pas l’affaire d’un grand on/off, d’un être et d’un néant n’en déplaise à Sartre. C’est l’équilibre à trouver entre de multiples plateaux d’une balance aux bras aussi nombreux que ceux d’une pieuvre. Malheureusement, pour régler ces plateaux, nous devons passer par une série de on/off, de oui ou non, d’éléments binaires, de choix à faire, de choses à prendre ou à laisser. Si je choisis de devenir psy, je ne peux pas être informaticien ; si je me marie, je ne peux pas être célibataire. Mais à nous voir, nous voulons le beurre et l’argent de ce même beurre. Pourquoi ? Par notre incapacité grandissante à chercher l’équilibre entre nos besoins, à trouver le compromis nuancé satisfaisant entre nos paradoxes et dissonances cognitives. Par notre incapacité à renoncer quand c’est nécessaire. D’ailleurs, trouver un équilibre par une série de choix, renoncer, choisir n’est-ce pas en soi un paradoxe à résoudre ? 

Tout ces “c’est bien, c’est mal”, “c’est beau, c’est laid”, nous font croire en l’absolu. Mais  l’absolu ment par rapport à la réalité qui est bien plus complexe qu’un simple oui / non, une frontière sans no man’s land. Nez dans le guidon, nous roulons droit vers le mur du con et nous ne pourrons pas le franchir, juste nous y écraser. Sans une prise de conscience urgente, ce sera le drame grotesque ! Car derrière cette incapacité grandissante à nuancer, à réfléchir, à douter, se cache notre même incapacité à résoudre les conflits et trouver des compromis satisfaisants puis, surtout, à être satisfait de ces compromis.

Qu’y a-t-il de commun entre Pépé le putois, Blanche Neige et les sept nains, un employé qui se plaint de se faire harceler ? Un bouton de porte… Dans une BD de quand j’étais gamin. le héros de l’histoire avait voulu repeindre un bouton de porte. Mais, du coup, la porte jurait avec le bouton, il l’avait alors repeinte. Puis, ce furent le chambranle, le mur, les murs, la pièce entière et à cause d’un peu de peinture renversée, toute la façade de l’immeuble. Un énorme effet tâche d’huile ! A la fin du récit, le héros, perché sur le toit, hurlait tel un fou : “Plus jamais, je ne repeindrai un bouton de porte” !

Nous sommes ce fou ; le diable est caché dans le petit détail de notre pensée qui nous mène à l’emballement de nos programmes. Ils ne peuvent plus se stopper qu’en coupant le processeur ou en arrachant le câble électrique.

A l’heure qu’il est, suite aux réactions normales des femmes face aux phénomènes de harcèlement, des choses ont été remises au point. Mais pendant que les abrutis, les primates décérébrés, les striatums imbibés de testostérone continuent impunément à harceler la femme en short, le gentleman, l’homme bien élevé, n’ose plus aborder la potentielle compagne, de peur de passer pour un criminel. Dans un autre ordre d’idée, pendant que dans l’entreprise, on dénonce ce harcèlement utilisé par les managers et qui a poussé des employés au suicide, les gros fainéants, les petits tyrans ont vite fait de se dédouaner en accusant le chef de les harceler alors que ceux qui travaillent croulent sous des injonctions contradictoires, de plus en plus chronophages et imbéciles. Les seuils-limites ont chuté, déclenchant une alerte atomique, chaque fois qu’un lapin passe la frontière du jardin interdit. Le maraîcher sort vite son bazooka pour neutraliser l’intrus et fait feu à de multiples reprises. A cause d’une limitation de vitesse sans nuance, d’une tolérance zéro, il est interdit de dépasser 30 à l’heure sur un segment autoroutier à 4 bandes. L’imbécile enfonce l’accélérateur alors que le citoyen respectueux passe pour un idiot. Du coup, l’imbécile arrive à temps au rendez-vous de l’Histoire alors que l’idiot est encore en route.

Tout le système humain et humaniste est menacé par ce manque de nuances dans les limites et j’ai bien peur que notre processeur social, incapable de trouver un compromis, se contente de trouver des coupables, un âne, un bouc émissaire à l’image des animaux malades de la peste. Le temps de résoudre la crise, de passer à autre chose, pour que l’heure venue, le petit diable ressorte de notre boîte noire et revienne gripper les rouages de notre pensée.