
Dimanche Pâques, vite une bouffée d’air dans ce bureau où règne encore cette odeur de ce territoire marqué de tes traces. Je laisse mon regard errer dans ce bureau fantôme, ce sanctuaire de papier et d’encre où ta présence et ton absence se font plus présentes que jamais. Ce calendrier figé sur juin 2015, comme si le temps avait pressenti ton départ, s’arrêtant un mois avant que tu ne t’efface de ce monde. Étrange prémonition des objets qui parfois semblent plus sages que nous.
Dix ans déjà. Une décennie où ton absence s’est cristallisée dans ces étagères partiellement vides, ces meubles dilapidés, ces papiers orphelins qui cherchent leur Champollion pour être déchiffrés. Je fouille parmi tes reliques, cherchant à sauver en dehors des manuels scolaires, des fragments de ton âme éparpillée au hasard.
Que reste-t-il de nous quand nous partons ? Des objets muets, des espaces abandonnés, des calendriers arrêtés comme des horloges brisées. La maison familiale est condamnée, et avec elle ce bureau – dernière chambre d’écho de ta voix, dernier refuge de ton esprit. Paradoxe cruel : pour que subsiste quelque chose de toi, il faut que je vide les lieux de ce qui peut être sauvé, que je disperses tes derniers trésors comme on sème des graines.
Je t’imagine, penché sur ces pages jaunies, tâcheron infatigable de la pensée. Ton QG, comme je le nommais avec tendresse, était moins un lieu qu’une extension de ton être. Et maintenant, je me prépare à trier, nous emballer, nous décider ce qui mérite d’être sauvé, comme si je pouvais juger de la valeur des fragments d’une vie.
Le temps est un voleur méticuleux. Il ne prend pas tout d’un coup, mais lentement, objet par objet, souvenir par souvenir. D’abord ta présence, puis les traces de ton passage, puis la mémoire même de ces traces. Et pourtant, dans ce travail d’archéologue à accomplir, quelque chose perdure – cette émotion qui m’étreint devant un calendrier arrêté, cette volonté de donner une seconde vie à ces livres qui furent les compagnons de ta pensée.
Peut-être est-ce là notre plus belle résistance face à l’inéluctable : transformer la perte en transmission, l’absence en présence ailleurs, autrement. Ces manuels que je cherche à sauver iront nourrir d’autres esprits, sous d’autres cieux, perpétuant sans le savoir un peu de cette flamme qui brûlait en toi.
La poussière retourne à la poussière, mais les idées, elles, voyagent de conscience en conscience. Pour qu’il reste un peu de toi, dirons-nous, il faut que ceux qui restent s’en aillent. N’est-ce pas la définition même de l’héritage ? Cette beauté fragile qui survit dans le mouvement, jamais dans l’immobilité.
