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L'art de rentrer dans le lard du sujet Les essais de Pascal Rivière Mais où va-t-on ? - Indignation et rébellion

Héroïque et ridicule !

Entre la grandeur et l’absurdité

Dans les vieux journaux de mon père, dispersés par ma mère, j’avais un jour découvert des récits de la Première Guerre mondiale. Ces pages jaunies portaient les échos d’une époque où l’héroïsme était idéalisé, où les corps brisés s’entassaient dans la boue des tranchées, sacrifiés pour la gloire.

Parmi ces vestiges, une figure me poursuivait : celle du poilu de Verdun, seul face à l’ennemi, criant : « On ne passe pas ! » Une scène d’un autre temps, pensons-nous. Pourtant, combien d’entre nous ne sont-ils pas ces mêmes soldats, face aux défis systémiques qui submergent nos vies ? Combien murmurent leur propre « On ne passe pas » face aux tempêtes modernes ?

Car que peut l’individu face à la foule, face aux tourbillons où vie et mort, espoir et désespoir se mêlent ? Rien, sinon être à la fois héroïque et ridicule. À moins de choisir la lâcheté de la fuite pour sauver sa peau.

Lorsque, contre toute raison, on tente de résister, on devient si dérisoire que cette absurdité acquiert une dimension sublime.

Aujourd’hui, une réunion de plus, pour rien, ou plutôt pour tout et rien : valider des décisions déjà prises, exécuter un rituel où l’on nous berce de l’illusion d’infléchir le cours de l’Histoire. Comme un fantassin face aux mitrailleuses et aux blindés.

De qui se moque-t-on ?

Durant une heure et demie de simulacre, j’ai joué un double rôle : décoratif par ma fonction purement ornementale, comme une croix blanche dans un cimetière militaire ; superficiel par ma présence destinée à masquer le vide des mesures prises ou à prendre, qu’il vaudrait mieux oublier.

S’ajoute à cela la cruelle réalité : avec l’âge, on devient transparent, invisible, insignifiant. Fantôme de soi-même dans un monde qui ne nous voit plus.

Je refuse désormais de participer à ce mauvais numéro, à ce simulacre de tragédie comique où le tragédien revêt l’accoutrement grotesque du clown. Son nez rouge fait « pouet-pouet » tandis que l’héroïne qu’il devait sauver expire dans ses bras dérisoires.

Voilà où je me dresse, voilà où nous en sommes : entre la grandeur et l’absurdité, dans cette valse éternelle où chaque geste de résistance porte en lui sa propre contradiction.