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L'art de rentrer dans le lard du sujet Les essais de Pascal Rivière Si j'étais Rimbaud ?

Mercredi soir, 22h ..


Mercredi soir. 22h.

Demain, départ vers le Sud. Le train m’attend. Mais ce soir, c’est l’anxiété qui me presse. Alors je sors.
Il faut marcher, sinon je sais que je ne dormirai pas.

Je longe la voie ferrée, fidèle compagne de mes soirs trop pleins.
Le gravier râle sous mes pas, les rails se tendent comme deux nerfs sous tension.
À l’horizon, un mince ruban rose découpe le ciel.
La lumière baisse, le souffle se cherche.

Je continue. Les vaches sont là, silhouettes tachetées dans l’herbe qui bleuit.
Elles paissent en silence, comme si le monde n’avait plus rien à dire.
Je les envie un instant — elles ont l’air d’ignorer que demain est une obligation.
Leur paix me frôle, ne me traverse pas.
Je poursuis.

Les éoliennes apparaissent, grandes dames maigres qui moulinent de l’invisible.
Elles tournent sans bruit, tranchant l’air avec une lenteur hypnotique.
Leur danse n’a ni début ni fin, elle est là, comme un rite que le vent seul comprend.

Je tourne à gauche, puis je débouche sur le port de plaisance.
L’eau frissonne à peine, et les reflets lumineux y tracent de longues lignes verticales,
comme des chandelles fondues dans l’obscurité.
Le ciel est lourd, très nuageux. Noir, mais lumineux là-haut,
comme si un dieu absent avait laissé la lampe allumée en partant.
Les mâts ne bougent pas.
Le silence ici est presque religieux.
Je me sens petit, passager d’un monde qui flotte.

Puis, tournant à peine la tête, je vois le champ labouré.
La terre est noire, retournée, balafrée de sillons.
Un ventre à vif, un corps offert à la nuit.
Pas une herbe, pas une fleur, juste ce sol écorché
qui respire encore la chaleur du jour.

Au fil de ma balade surgit le château d’eau.
Il se dresse, haut, buté, masqué à moitié par le grand arbre.
Il ressemble à un veilleur endormi, un gardien de ce monde parallèle
où les ombres s’allongent sans bruit.
La scène a quelque chose de surréaliste.
Un théâtre de fin de monde où les rôles se jouent sans spectateurs.
Autour, les fils électriques découpent l’espace,
tendus comme des portées musicales où rien ne s’écrit.

Et puis, enfin, cette rue.
Ordinaire. Symétrique. Figée dans l’attente.
Les lampadaires allumés comme autant de points de suspension sur le bitume.
Les maisons serrées, les voitures endormies.
Tout semble dire : « On est rentrés, pas vous ? »

Le ciel, encore bleu, retient un peu de jour comme on garde un secret.
Je sens mes jambes se relâcher, mon cœur ralentir.
La fatigue me rejoint en silence.

Je m’arrête.
Le jour s’éteint, le ciel se replie.
Et moi, doucement, je me laisse glisser vers le sommeil,
comme on se couche dans la barque d’un rêve qu’on ne maîtrise pas.