De la nostalgie aux bourgeons

Aux origines d’une émotion
Tout a commencé par une simple demande familiale. Un dimanche ordinaire, ma mère m’a sollicité pour photographier son jasmin en fleurs, celui qui survit sur sa terrasse. Une requête anodine, presque banale. Pourtant, ce petit geste allait déclencher une cascade d’émotions et, finalement, une création artistique inattendue.
Après avoir capturé les délicates fleurs du jasmin, mon regard s’est porté, presque malgré moi, vers le fond du jardin. Là-bas, derrière la haie négligée, se trouvait le verger que mon père entretenait autrefois avec passion. Dix ans après sa disparition, ce lieu semblait m’appeler une fois de plus – un appel à la fois lumineux sous le soleil printanier et profondément mélancolique dans son abandon.
La confrontation avec le temps
Me voilà donc parti, smartphone en main, à travers les hautes herbes et les ronces qui ont progressivement envahi les allées autrefois soigneusement entretenues. Chaque pas dans ce labyrinthe végétal était aussi un pas dans ma mémoire. Je redécouvrais ce territoire de l’enfance, désormais envahi par l’absence et le temps.
Les redécouvertes s’enchaînaient au fil de ma progression: ici, une vieille balançoire rouillée, témoin silencieux des jeux d’antan; là, un ballon décoloré suspendu à une branche depuis combien d’années? Et partout, contrastant avec cette désolation, des fleurs sauvages – primevères, perce-neige, cyclames – qui perçaient obstinément à travers le chaos végétal, comme autant de petites victoires de la vie.
Ces contrastes m’ont profondément touché: la juxtaposition de l’abandon et du renouveau, de la tristesse et de la beauté, du passé révolu et du présent qui persiste à fleurir malgré tout.
De l’émotion au texte
De retour chez moi, ces images tournaient en boucle dans mon esprit. Comment exprimer ce sentiment complexe, cette mélancolie qui n’est pas désespoir, cette nostalgie qui n’est pas que regret? Les mots sont venus, presque naturellement, formant peu à peu les contours d’un texte qui évoquait ma traversée du verger.
Mais quelque chose manquait encore. Une référence littéraire s’est imposée: le poème « Après trois ans » de Paul Verlaine, que mon père aimait tant. Comme Verlaine qui pousse « doucement la porte du petit jardin qu’éclairait doucement le soleil du matin », je revivais cette expérience de retour, mais dans un contexte différent – non pas après trois ans, mais après dix, et sans porte à pousser mais des broussailles à traverser.
Le Verger de mon Père
C’était un dimanche comme les autres. Ma mère m’avait demandé d’aller photographier son jasmin en fleurs, celui qu’elle soigne avec tant d’attention au coin de la terrasse. Mission accomplie, je m’apprêtais à repartir quand mon regard fut attiré vers le fond du jardin. Là-bas, derrière la haie de troènes, le verger de mon enfance m’appelait. Un appel à la fois brillant sous le soleil printanier et désespéré, désespérant dans son abandon.
Après dix ans, me voilà à marcher, boitillant, dans le verger envahi d’herbes folles, de ronces et autres chiendents. Sous le soleil brillant, je suis parti en quête des premiers signes du printemps.
Il faut pourtant braver les obstacles qui se sont accumulés depuis que papa n’est plus là. Il a triste allure, ce verger, et pourtant il se pare encore de ses primevères et de ses délicates fleurs mauves. Et là, figée dans le temps, la vieille balançoire rouillée se balance au gré du vent, avec ses cordages effilochés et son siège délavé par les intempéries. Un ballon orange décoloré, vestige d’après-midis joyeux, pend tristement à l’une des cordes. Ces reliques d’enfance, abandonnées comme des sentinelles oubliées, montent la garde au milieu des tapis de fleurs sauvages.
Il me revient Verlaine qui « avait poussé doucement la porte du petit jardin qu’éclairait doucement le soleil du matin » — ici, je n’ai poussé aucune porte. J’ai dû franchir la brousse qui me bloquait l’accès à ce beau verger où j’avais tant couru enfant. En cet après-midi de dimanche, je vois la désolation tout ornée des jolies fleurs du printemps.
Les petites étoiles jaunes et les primevères roses parsèment le sol comme autant de souvenirs lumineux qui résistent au temps. Elles percent la végétation sauvage qui a repris ses droits, entourant de leur douceur les vestiges de nos jeux d’enfants. Contre le vieux mur de pierre, là où nous cachions nos trésors, les cyclames sauvages semblent veiller sur nos secrets d’autrefois, témoins obstinés d’une vie qui continue malgré l’abandon.
Au loin, les vieux arbres se dressent, squelettiques pour certains, envahis par le lierre pour d’autres. Le ciel bleu paraît presque indécent au-dessus de ce paysage mélancolique où la nature sauvage efface peu à peu l’œuvre de mon père.
Que reste-t-il de ces doux chants que j’entendais quand j’étais enfant ? Le temps passe et fait disparaître ces paradis où nous courrions joyeux et contents, croyant que le temps était aimant. Mais en fait, il n’est jamais qu’un grand méchant qui tue les souvenirs d’enfant.
Et pourtant, ces fleurettes jaunes me murmurent que tout n’est pas perdu, que sous l’apparente désolation, la vie persiste, obstinée, comme un écho lointain des jours heureux.
Le texte avait pris forme, mélangeant souvenirs concrets et impressions poétiques. Mais au fil de l’écriture, une métamorphose s’était opérée: la tristesse initiale s’était teintée progressivement de lumière. Les perce-neige et les primevères n’étaient plus seulement les témoins d’un paradis perdu, mais aussi les promesses d’un renouveau possible.
La transformation musicale
C’est alors qu’une idée a germé: et si ce texte devenait chanson? Plus précisément, comment Charles Trenet, maître dans l’art de transformer la mélancolie en légèreté, aurait-il abordé ce sujet? Cette question a été le point de bascule du projet.
Avec l’aide de Claude, l’IA d’Anthropic, j’ai exploré cette piste, transformant mon texte initial en paroles inspirées du style de Trenet. L’idée de jouer sur les sonorités « pa-pa-pa » s’est imposée, créant un double sens évocateur: à la fois l’évocation de mon père (« papa ») et le rythme swinguant caractéristique de Trenet.
Les images du verger ont trouvé leur traduction sonore: les perce-neige sont devenus des « ding-ding-bling » tintinnabulant au vent, le « caracole » s’est transformé en « père-père-cole », dans un jeu de mots qui aurait pu naître sous la plume de Trenet lui-même. La mélancolie initiale s’est progressivement métamorphosée en une nostalgie dansante, où même la tristesse s’habille de rythmes enjoués.
Pour compléter cette transformation, j’ai fait appel à Suno, une IA musicale capable de générer une mélodie et un arrangement à partir de directives. L’électro-swing m’a semblé le genre idéal pour cette fusion entre passé et présent, tradition et modernité. Les sonorités vintage du swing conjuguées aux beats électroniques contemporains reflétaient parfaitement cette tension entre mémoire et renouveau que j’avais ressentie dans le verger.
La chanson comme réconciliation
« Le Verger de Pa-pa-pa » n’est pas seulement une chanson, c’est le point culminant d’un processus de transformation: de la douleur à l’acceptation, de la nostalgie figée à la mémoire vivante. Elle représente ma façon de dialoguer avec l’absence, non pas en la niant, mais en l’intégrant dans un présent qui continue de fleurir.
En entremêlant les sonorités gaies du swing avec des paroles qui évoquent la perte, en juxtaposant l’abandon du verger et l’obstination des fleurs printanières, cette chanson devient une métaphore de la vie elle-même – avec ses contradictions, ses douleurs et ses renaissances inattendues.
Le processus créatif, de la promenade initiale à la chanson finale, a été une forme de thérapie, une manière de transformer le chagrin en création. Les outils d’intelligence artificielle ont joué le rôle de collaborateurs, amplifiant et transformant mon émotion personnelle sans jamais la remplacer.
« Le Verger de Pa-pa-pa » témoigne ainsi qu’au cœur même de nos pertes les plus profondes, la vie continue de composer sa mélodie – parfois mélancolique, parfois joyeuse, mais toujours, obstinément, présente.
« Le Verger de Pa-pa-pa » est disponible sur ma chaîne YouTube, où j’explore les nouvelles frontières de la création artistique assistée par l’intelligence artificielle, sans jamais perdre de vue l’émotion profondément humaine qui en est la source.
